Gérard Ségura, maire d'Aulnay-sous-Bois, a dû faire face aux tensions qui ont secoué, depuis le 11 janvier, les cités de sa ville après la mort d'un jeune lors d'un contrôle policier. Une gestion de crise qu'il connaît bien.
Il n'a dormi que deux petites heures avant que son portable ne sonne à nouveau, à 4 h 15. Cette fois, un appel de journaliste voulant vérifier une information matinale. Le téléphone raccroché, Gérard Ségura a refermé les yeux mais ne s'est pas rendormi. Trop de questions en tête. Quand on le retrouve, jeudi 12 janvier au matin, le maire (PS) d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) a les traits tirés. Il sait, pourtant, que sa journée ne fait que commencer.
Depuis vingt-quatre heures, les cités de sa ville sont sous tension. Un climat étrange et électrique où se toisent policiers en tenue de protection et jeunes en capuche. Mardi soir, Abdelilah El-Jabri, un jeune homme de 25 ans, est mort dans le quartier de Balagny après une intervention de quatre policiers de la brigade anticriminalité (BAC). Le jeune homme souffrait de problèmes cardiaques. Son coeur s'est arrêté durant l'interpellation. " Une rupture de l'aorte, déjà fragile, liée à une maladie génétique " , a précisé le parquet, qui a écarté l'hypothèse des violences policières. Mais l'explication médicale n'a pas satisfait les amis d'Abdelilah El-Jabri qui ont promis de venger sa mort. Le mot a été passé par SMS et sur Facebook à la cité des 3 000 et à la cité de l'Europe, les autres quartiers sensibles de la ville. Pour y faire face, policiers et personnels de la mairie ont été mobilisés jusque tard dans la soirée.
En ce jeudi matin, Gérard Ségura, installé dans son bureau, fait le point des événements de la nuit écoulée. L'homme, affable, a revêtu un polo bleu qu'il a boutonné jusqu'au cou. La tenue est confortable. Il sait qu'il en aura besoin. Face à lui, Maurice Signolet, commissaire de police, crinière blanche et pull noir, à trois ans de la retraite. Le policier touille son café machinalement en rendant compte de la soirée : " Dans l'ensemble, ça ne s'est pas trop mal passé. Il y a eu quelques feux de poubelles, plusieurs générateurs qui ont sauté et deux personnes arrêtées à bord d'une Twingo volée, avec des bidons d'essence. Mais c'est tout. "
A Balagny, quelques jeunes ont aussi tenté d'incendier l'épicerie du quartier mais ont rapidement été stoppés dans leur élan par la police. Le maire écoute en hochant la tête et ajoute : " Par contre, les gars de la BAC ont commencé à contrôler les identités à la cité de l'Europe. Et sans raison. Tout était calme là-bas. Il ne faut pas jeter d'huile sur le feu ! " Le commissaire acquiesce à son tour. Les deux hommes savent, par expérience, toute l'importance qu'il y a à ne pas opposer frontalement jeunes et policiers. Médiateurs de quartier, gardiens d'école, responsables jeunesse et élus municipaux ont été mis à contribution pour jouer les tampons entre les deux camps. A Balagny, le commissaire Signolet a fait reculer les CRS de quelques centaines de mètres pour qu'ils n'apparaissent plus directement dans le champ de vision des jeunes. " Il faut laisser la cité faire son deuil " , analyse-t-il.
Gérard Ségura n'en est pas à sa première situation de crise. Quand on l'interroge, une date précise revient systématiquement dans la conversation : le 6 mai 2007, jour de l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Ce soir-là, Gérard Ségura, simple conseiller général, est dans la cité des 3 000. La désignation du candidat UMP est un choc pour ce quartier qui a voté à plus de 85 % pour Ségolène Royal. Les jeunes sont dehors, les agents de la BAC aussi, les CRS également, et les esprits sont tendus. Une fois encore, serait-on tenté de dire. " La BAC a énervé des jeunes avant d'aller ensuite chercher les CRS pour qu'ils les chargent , raconte-t-il. Je me suis retrouvé entre les deux, nez à nez avec un jeune CRS de 23-24 ans, blanc de peur, les lèvres violettes. Son Flash-Ball à la main, à 40 centimètres de moi. Ç'aurait pu complètement dégénérer. "
Christophe Lopez, son directeur de cabinet, le presse. Il est déjà plus de 11 heures et l'élu doit rendre visite à la famille du défunt, au coeur de Balagny. Il part dans sa 407 grise puis revient, une heure et demie plus tard. Son portable ne cesse de sonner. On l'apostrophe dix fois dans le couloir de son bureau pour faire signer un papier, demander un avis, le tenir informé de la situation dans les quartiers. Les petits tracas s'accumulent.
L'avis de décès d'Abdelilah El-Jabri n'est pas en règle, et ses parents ne peuvent pas récupérer le corps. Des informations remontent des quartiers, et certains textos prédisent une nuit agitée. Finalement, la chef de cabinet parvient à l'extraire de la ruche municipale une petite heure pour aller manger une escalope dans une gargote. Le répit est de courte durée. Une administrée qui l'a reconnu lui demande où en est la situation.
Deux heures plus tard, après un passage en mairie, la 407 grise reprend la route. Direction la cité de l'Europe pour prendre la température du quartier. Là, une dizaine d'adolescents jouent au foot sur uncarré de bitume. D'autres les regardent en discutant. Rien qui ressemble à une situation de crise. Le maire présente quelques personnes du quartier. Il y a Fouad, photographe semi-pro, qui a travaillé pour Reebook, Diesel et le magasine Rolling Stone . " First Mike ", DJ sur Génération, la radio très écoutée dans les quartiers. Une jeune fille, inscrite à l'université en master d'anglais. " Et Sefyu, le rappeur, vient d'ici aussi. On a plein de talents, mais personne ne veut les voir " , se désole le maire.
A l'angle d'un immeuble apparaissent soudain quatre policiers en uniforme qui traversent à grandes enjambées l'espace vert au centre de la cité. Visiblement à la recherche de quelqu'un. La partie de foot s'arrête instantanément.
Un jeune : " Qu'est-ce qu'ils foutent là ? " Un autre : " C'est pas de la provocation ça ? Tout le monde est tranquille et ils se pointent comme ça ! "
En l'espace d'une minute, des dizaines d'adolescents apparaissent aux balcons et en bas des immeubles. Les regards tournés dans la même direction. Gérard Ségura passe un coup de téléphone au commissaire. Il raccroche et raconte : " Il vient d'y avoir un vol de scooter un peu plus haut sur l'avenue. Les agents ont dix minutes pour trouver le voleur. Ensuite, on m'a dit qu'ils partiront. Il ne faut surtout pas mettre le feu aux poudres maintenant. "
Les policiers repartent finalement bredouilles. Gérard Ségura reprend la direction des 3 000 avant de se rendre de nouveau à Balagny puis, une fois encore, à la cité de l'Europe. Jusque tard dans la nuit. Il pense, cependant, que la situation s'est améliorée. Une marche silencieuse est prévue vendredi après-midi. " S'il n'y a pas d'incidents, la situation devrait retourner rapidement à la normale. "
Arthur Frayer
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